COWGIRL PAR PASSION

Interview par G.Niro – Photos Kim F. Stone

Martin Black est un horseman très respecté et un enseignant bien connu dans le monde de l’équitation à l’international. Il est né dans l’Idaho et a grandi dans le ranch familial à Bruneau (USA). Martin travaille selon les traditions de l’équitation vaquero (Buckaroo), qu’il a apprises principalement de son grand-père et de son oncle, mais aussi au contact de certains des plus grands horsemen de son temps (Charlie et Bill Van Norman, Ray Hunt, Gene Lewis, Melvin Jones, Tom Dorrance).

Son expertise unique et sa soif d’apprendre lui ont permis de devenir un entraîneur hautement qualifié et polyvalent. A l’âge de 8 ans, Martin passait déjà des jours à cheval dans le désert à conduire, surveiller et prendre soin du troupeau familial. Dès le lycée, il a développé un goût pour la compétition, notamment dans les épreuves de rodeo (bronc riding, roping) et de cow horse. Plus tard, il a géré pendant plusieurs années l’un des ranches les plus étendus des Etats-Unis (1,25 million d’acres, soit 500 000 hectares pour 15 000 vaches et 400 chevaux) avant de se spécialiser dans le travail des jeunes chevaux, débourrant jusqu’à 500 poulains par an, destinés pour la plupart aux disciplines western mais aussi au monde des courses. Cette expérience extrêmement riche et sa motivation à transmettre son savoir font de lui un enseignant exceptionnel, amené à voyager aux 4 coins du monde. Il est connu en particulier pour son style d’enseignement patient et intuitif, sa lecture extrêmement fine des chevaux et du bétail et sa capacité à aider les cavaliers et les chevaux à établir la confiance et la communication.

Martin nous fait le plaisir de partager avec nous sa vision de l’évolution de la vie de ranch et de l’enseignement, et ce qu’il souhaite transmettre aux générations futures avec l’aide d’Estelle Bouzat, cavalière française western depuis trois ans seulement, qui s’est rendue 2 fois chez lui afin d’approfondir ses connaissances sur le horsemanship, le travail du bétail et le maniement du lasso. On a voulu en savoir un peu plus également à propos de son expérience aux US.

P&W: Étais-tu déjà cavalière avant ? Si oui, pourquoi être passée à l’équitation western (EW) ?
E.B: J’ai commencé l’équitation à 6 ans. Au collège, je passais beaucoup de temps à aider dans un centre de tourisme équestre proche de chez mes parents, en Touraine. Après une pause pendant mes études, le virus m’a repris alors que je travaillais aux Etats-Unis. Je faisais du bénévolat dans un centre équestre à Washington DC où j’ai repris les cours avec une enseignante issue du barrel racing. A mon retour en France en 2009, je n’ai pas trouvé les enseignants et le cadre qui me parlaient en EW, et je me suis à nouveau tournée vers la randonnée. Dix ans plus tard, en 2019, j’ai fini par partir une semaine au TX ranch dans les Bighorn Mountains, au Wyoming. Ça a été une expérience incroyable. Nous étions une douzaine et nous passions nos journées à cheval à trier et convoyer les troupeaux, faire les marquages, la prophylaxie, le tout en étant logés dans un camp de tentes, sans eau courante et avec juste un générateur pour éclairer la cabane dans laquelle nous prenions les repas. Mon second voyage ayant été annulé en 2020, j’ai cherché comment développer en France des compétences qui me seraient utiles lors de mon prochain séjour aux Etats Unis. Je n’imaginais pas que cela aurait un tel impact sur ma vie quotidienne.

P&W : Vers quels enseignants (France) t’es-tu dirigée ? Y’a-t-il une raison plus qu’une autre ?
La première pépite que j’ai découverte est Marie Dufour, lors de stages au Cowboy Legend Ranch dans la Sarthe, autour du horsemanship et des disciplines de Versatility Ranch Horse (VRH). Ensuite Luc Giordano m’a permis de plonger dans l’univers horsemanship / stockmanship (gestion du bétail) / ranch et m’a ouverte à la culture buckaroo. Sa ferme à Cahors est un cadre parfait pour pratiquer les activités de ranch et des disciplines de VRH entre deux séjours aux Etats-Unis. Parallèlement, j’ai développé un fort intérêt pour l’entraînement. J’ai trouvé le lien parfait entre les deux approches avec Christophe & Tiphaine Kayser au King’s Valley Ranch, qui allient l’exigence de l’entraînement en reining et en cow horse et la recherche de la polyvalence des chevaux.

Je profite par ailleurs de la richesse de notre écosystème western français pour aller à la rencontre d’autres enseignants, (et d’un maximum de chevaux différents), dans toute la France, par exemple Maud Burnier & Antoine Cloux, Nicolas Doucet, Julie Jacqmin ou encore Gaëtan Foulatier & Albane Berceau (cutting).

Buckaroo Experiences

P&W: Fais-tu de la compétition et est-ce que cela t’attire ou pas du tout ?
J’ai d’autres priorités pour l’instant mais pourquoi pas le jour où l’opportunité se présentera.

P&W: Possédais-tu un objectif avant de te mettre à l’Ew ?
Mon objectif à la base était d’améliorer mon équitation et d’en apprendre plus sur le travail du bétail. Quand j’ai compris que cela passait par une communication plus efficace avec le cheval, cela s’est transformé en une quête sans fin de connaissances et de sensations nouvelles. Chaque facette à explorer est passionnante, qu’il s’agisse d’une meilleure maîtrise de la technique, d’une compréhension plus aboutie du fonctionnement physique et mental du cheval, ou encore du développement de capacités d’observation et de sensations qui s’affinent sans cesse.

P&W: Est-ce que l’EW a changé quelque chose dans ta vie de tous les jours ?
Oui ! J’ai beaucoup évolué et appris sur moi en 3 ans. J’ai aussi rencontré des personnes incroyables.  Je passe beaucoup de temps à lire, écouter des podcasts, regarder des vidéos, sur l’EW. Cela reste un loisir, mais j’organise mon agenda pro et perso en fonction des opportunités que j’ai de monter avec tel ou tel enseignant.

P&W : Pourquoi avoir choisi Martin ?
Je cherchais un endroit où je pourrais à la fois vivre une expérience dans un ranch et continuer mon apprentissage du horsemanship et du stockmanship. Luc Giordano et Nicolas Doucet m’ont recommandé Martin et je me suis lancée.

P&W : 1er contact, feeling.. impressions..
Le ranch de Shoofly se trouve à Bruneau dans l’Idaho, entre montagnes et plateaux désertiques à perte de vue. C’est beau, très calme et aride. Le ranch lui-même est une petite structure assez rustique, restée dans son jus. C’est dépaysant au début et très vite on n’a plus envie d’en partir. 

P&W : T’es-tu vite intégrée au groupe ?
Lors de mon premier séjour, nous sortions à peine de la crise Covid, et nous nous sommes retrouvés en petit comité, avec Martin et quelques habitués. Je me suis très vite sentie intégrée, notamment grâce à Kim Stone qui fait partie de l’équipe de Martin et que je considère comme un mentor. Ça a été un grand plaisir de retrouver ces mêmes personnes cette année et d’en rencontrer de nouvelles, avec des parcours et des expériences variés mais reliées par une motivation commune à apprendre.

Témoignage d’Estelle sur son séjour en Idaho en 2022.

P&W : Faut-il un bon niveau d’équitation pour partir chez lui ?
Le format “ranch school” est conçu pour être inclusif. Il faut être à l’aise aux trois allures et être en assez bonne condition physique pour passer la journée à cheval et trotter de longues distances en autonomie dans le désert. Il n’est pas nécessaire d’avoir une expérience du bétail ou du lasso. Martin s’adapte au niveau et aux intérêts de chacun et propose des chevaux et des exercices qui y sont adaptés.

P&W : Sur quelles parties t’es-tu sentie ”larguée” et à l’aise ?
Sur le fond, les enseignements de Martin en horsemanship et bétail sont très cohérents avec ce que j’ai pu voir avec Luc Giordano, Marie Dufour, Maud Burnier, Antoine Cloux et Nicolas Doucet. Je n’avais quasi jamais touché de lasso.  Martin a pris le temps de me faire intégrer les bases du swing et de la manipulation de la corde.
Martin joue avec les limites de notre zone de confort. Il nous challenge en nous laissant expérimenter, faire l’erreur pour la corriger après. Être jetée dans le grand bain a pu être déstabilisant au début mais comme le dit Martin : « si tu n’es pas en train de repousser les limites de ta zone de confort, tu es probablement en train de la réduire. »

P&W : Brièvement, une journée type chez Martin Black ?

L’objectif de la “ranch school” est de travailler le horsemanship, le stockmanship et le lasso pour être capable d’aller regrouper et trier du bétail, et de participer aux brandings, où les veaux sont attrapés au lasso, marqués au fer rouge, vaccinés et castrés. 

Le matin démarre par le debrief de la journée précédente. C’est l’occasion de poser toutes nos questions à Martin et de lui communiquer nos objectifs. Ensuite on passe à cheval pour une longue séance, ou bien deux plus courtes. 

On peut commencer en carrière pour travailler les bases du horsemanship et faire des exercices de contrôle des pieds avant de partir développer notre feel et notre timing dans le désert. On pratique la manipulation du lasso à pied avec un dummy (veau factice) puis à cheval. On s’entraîne également avec les hot heels, un veau mécanique tiré par un quad. On peut simplement suivre les hot heels, s’entraîner à maintenir la position qui permet de contrôler le veau ou encore s’exercer à l’attraper à la tête ou aux pattes arrière. D’autres fois, nous partons à la découverte des curiosités naturelles locales, avec de longs trots dans le désert et des opportunités infinies de travailler les chevaux en chemin. Une autre activité phare est le travail du bétail. On déplace le troupeau et on fait des exercices de tri dans le calme, de la manière la plus précise possible et en prenant en compte l’impact que chaque mouvement de notre cheval a sur l’ensemble du troupeau. 

P&W : Ce que tu as préféré…
En fin de stage, l’expérience ultime est de participer à un ou plusieurs brandings. Quand on pense au lasso, on pense principalement au fait d’attraper. Or, le horsemanship et le stockmanship sont tout aussi importants. On pourra d’autant mieux attraper et gérer le veau qu’on a le parfait contrôle de l’ensemble du corps de son cheval et qu’on comprend et anticipe l’impact du positionnement de son cheval sur la vitesse et la direction du veau. Dans cette région des Etats-Unis, le veau est attrapé au cou puis aux pattes arrières. Une fois attrapé, il faut savoir gérer la tension dans la corde et la direction pour l’amener au feu, puis le maintenir en position pendant que l’équipe au sol le marque, le vaccine et le castre si c’est un mâle. Cela ne prend que quelques minutes et le veau peut aller retrouver sa mère.

Lorsque le veau arrive au feu, l’équipe au sol retire le lasso qui se trouve autour du cou du veau pour le positionner sur les pattes avant. Normalement on garde le même lasso. Dans une optique d’apprentissage, Martin commence par nous faire prendre la relève du header. L’équipe au sol installe notre lasso autour des pattes avant et le header peut repartir roper. Cela permet de pratiquer le dally (entourer la corde autour de la corne de notre selle – rapidement et sans regarder !) et d’apprendre à trouver et à maintenir la bonne tension dans la corde, puis à défaire le dally (toujours sans regarder !) pour  libérer le veau. C’est ce que j’ai fait la première année.

Cette année, j’ai commencé à attraper les pattes arrière et à faire le travail au sol.

Les brandings sont à la fois mes meilleurs souvenirs et les plus stressants. C’est une chance exceptionnelle et un grand plaisir de pouvoir participer à ces moments clés de la vie du ranch. C’est aussi un environnement où un accident est très vite arrivé. Il faut avoir les yeux partout. Heureusement Martin n’est jamais loin!

P&W : Pour résumer, à qui conseilles-tu ces stages chez Martin Black ?
Je conseillerais la “ranch school” à tout cavalier motivé pour améliorer son horsemanship quelque soit sa discipline. Si vous n’avez pas d’expérience avec le bétail et le lasso, ce sont de parfaits exercices de mise en pratique du horsemanship. Si vous êtes déjà expérimenté, Martin vous emmènera plus loin ! Une autre option est d’organiser un stage privé avec un programme sur-mesure à Shoofly ou bien participer à un de ses stages organisés à l’extérieur.

Interview flash de Martin Black

P&W: Y aura-t-il encore une place pour les cow-boys dans le monde de demain ?
M.B. : Oui, mais à une échelle beaucoup plus réduite. Sans le développement des activités de loisir, la plupart des ranchers et des cow-boys ne passeraient plus autant de temps à cheval seulement pour les besoins de l’élevage. 

Quels conseils de vos aïeux avez-vous transmis à vos enfants et petits-enfants ?
La plupart des règles qu’ils nous ont inculquées lorsque nous étions enfants étaient axées sur la sécurité, pour nous et pour nos chevaux.

Quelles sont les spécificités de la culture Buckaroo ?
Beaucoup de cow-boys sont influencés par le rodéo où il s’agit d’être rapide, alors que le style Buckaroo traditionnel consiste à être plus lent et plus doux avec les chevaux et le bétail.

Quelles différences voyez-vous entre cette approche traditionnelle et les pratiques d’entraînement utilisées en compétition aujourd’hui ?
Lorsqu’une discipline, qu’il s’agisse de dressage, de rodéo ou d’autre chose, devient une compétition, elle prend une nouvelle vie et s’éloigne de son origine.

Comment développer des compétences en horsemanship peut-il bénéficier à tout cavalier ?
Faites passer votre cheval en premier, et non la compétition. Plus le cheval est sacrifié pour la compétition, plus il y a de travail à faire pour le rééduquer ensuite.

Comment voyez-vous l’évolution de l’enseignement en horsemanship et de l’entraînement ?
En ce qui concerne l’enseignement, je vois une tendance à simplifier, à rendre les choses toujours plus faciles pour le cavalier. Ceci au lieu que le cavalier travaille plus dur et prenne le temps nécessaire pour comprendre le cheval. J’observe l’arrivée d’un horsemanship de meilleure qualité dans certaines compétitions, et j’espère que cela deviendra la nouvelle tendance.

Où recommanderiez-vous aux cavaliers de commencer leur apprentissage du horsemanship?
Pour moi, une bonne équitation consiste à écouter le cheval, à essayer de comprendre les choses de son point de vue. C’est ce que je recommanderais.

Vous avez eu une carrière très riche: vous avez été rancher, compétiteur, spécialiste en débourrage, vous avez enseigné dans le monde entier. Quels sont vos objectifs aujourd’hui ? 
J’aimerais avoir plus de temps pour profiter du ranch et de ma famille.

Quel héritage aimeriez-vous laisser ?J’aimerais faciliter les choses pour mes petits-enfants, afin qu’ils puissent plus aisément transmettre aux prochaines générations les principes et le mode de vie dont on peut profiter sur un ranch.

Martin Black accompagné de son fils & petit-fils ! ©Kim Stone 

Je remercie Estelle pour avoir partagé cette expérience, ainsi que Kim F. Stone nous avoir fourni ses superbes photos, vous pouvez retrouver son travail sur son site et enfin Martin Black que je ne connais pas personnellement d’avoir bien voulu participer à cet article. 

Le site de MARTIN BLACK